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Impact écologique et sanitaire de l'isoflurane

     L’anesthésie gazeuse est fréquemment utilisée en médecine vétérinaire et l’isoflurane est l’agent anesthésique halogéné de choix tant pour des raisons de sécurité du patient que pour son coût raisonnable. Son utilisation, déjà très répandue, tend encore à augmenter avec l’équipement de plus en plus fréquent des cliniques vétérinaires en machines d’anesthésie gazeuse. Les vétérinaires et leur personnel sont donc de plus en plus nombreux à utiliser et être exposés à l’isoflurane. En médecine humaine, d’autres gaz peuvent être utilisés : le protoxyde d’azote ainsi que 3 gaz halogénés qui sont l’isoflurane, le sevoflurane et le desflurane.  

Tous ces gaz sont peu métabolisés et sont éliminés essentiellement par voie respiratoire. La plupart des systèmes d'anesthésie transfèrent ces gaz sous forme de déchets directement dans l’atmosphère. 
 

Quels sont les impacts de ces gaz et en particulier de l’isoflurane sur l’environnement et la santé des personnes exposés ? 

Emission mondiale 

     La population mondiale continuant de croître et l'anesthésie moderne devenant disponible dans davantage de régions du monde, l'utilisation mondiale d'anesthésiques volatils et de N2O devrait continuer d’augmenter. Ces gaz anesthésiques sont également largement utilisés dans les cabinets de dentistes, les cliniques vétérinaires bien sûr et les laboratoires de recherche sur les animaux. 

Une étude réalisée par des chercheurs  Suisses a montré l’évolution des pics de concentrations d’agents halogénés en haut du sommet de la Jungfrau sur les 10 dernières années, mettant en évidence l’évolution des pratiques dans le choix des gaz utilisés, et témoignant de l’activité anesthésique, plus importante dans l’hémisphère nord et en augmentation depuis 10 ans. 

                 Emission global des gaz halogénés anesthésiques                        Taux atmosphériques des gaz halogénés 

Impact écologique : des gaz à effet de serre puissants 

Notre équipe

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Une propriété peu connue de ces gaz anesthésiques sont leur potentiel important de réchauffement climatique, comme le montre le tableau ci-dessous: 

Le potentiel de réchauffement global est un indice de comparaison associé à un gaz à effet de serre (GES), qui quantifie sa contribution marginale au réchauffement climatique comparativement à celle du dioxyde de carbone, cela sur une certaine période choisie (içi 100 ans). Pour comparaison, celui du méthane (souvent cité lors des émissions carbone de l’élevage des ruminants) est d’environ 30 et celui du protoxyde d’azote (pouvant être produit par exemple par excès d’apport azoté sous forme d’engrais) de 300. 

La MAC est défini comme la concentration alvéolaire minimum qui bloque la réaction motrice à une incision cutanée chez 50 % des patients. 

D’après ces données, 5,25 flacons d’isoflurane est donc équivalent à une tonne de C0². 

Pour rappel, pour limiter l’augmentation des températures à + 2 °C, il faut viser dès les prochaines décennies une empreinte carbone à l’échelle mondiale de 2 tonnes de CO2eq par personne et par an soit 10,5 flacons.

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Impact écologique : destructeurs de la couche d’ozone 

      Tous les anesthésiques volatils actuellement utilisés sont des composés halogénés destructeurs de la couche d'ozone. L'effet d'un anesthésique volatil sur l'appauvrissement de la couche d'ozone dépend de son poids moléculaire, du nombre et du type d'atomes d'halogène, et de sa durée de vie atmosphérique (définie comme le temps nécessaire pour éliminer ou transformer 63% d'un gaz émis).
La durée de vie troposphérique des anesthésiques halogénés est beaucoup plus courte que celle des CFC (principaux gaz destructeurs de la couche d’ozone), car les atomes d'hydrogène des molécules anesthésiques sont susceptibles d'être attaqués par des radicaux hydroxyles (OH-) dans la troposphère, ce qui les rend moins susceptibles d'atteindre la stratosphère. On pense que les espèces ayant une durée de vie troposphérique de plus de 2 ans atteignent la stratosphère en quantités significatives.
Les durées de vie troposphériques estimées de l'halothane, de l'enflurane et de l'isoflurane sont comprises entres 2 et 22 années. Une fois que les anesthésiques atteignent la stratosphère, les anesthésiques contenant du chlore tels que l'halothane, l'isoflurane et l'enflurane peuvent être plus destructeurs pour la couche d'ozone que les médicaments plus récents, tels que le sévoflurane et le desflurane, qui sont entièrement halogénés avec du fluor. Leur contributions à l'appauvrissement total de la couche d'ozone stratosphérique est estimées à environ 1% pour l'halothane et 0,02% pour l'enflurane et l'isoflurane.. 

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Exposition professionnelle 

      Selon le bulletin d’information toxicologique québécois : « L’exposition  professionnelle  aux  gaz  anesthésiques  pour inhalation  n’est  pas  sans  risque. [Leur] revue documentaire  a  mis  en  évidence  un  risque  accru  d’avortement  spontané, d’anomalies  congénitalesd’accouchement  prématuré,  de  génotoxicité,  ainsi  qu’un  risque d’effets neurocomportementaux. Toutefois, deux revues systématiques portant sur les études de meilleures qualités concluent qu’il n’y a pas de risque accru pour les travailleurs exposés aux  gaz  anesthésiques  pour  inhalation.  En  présence  de  nombreux  facteurs  confondants tels le manque d’information sur le niveau d’exposition réel des travailleurs, l’administration concomitante de plusieurs agents, la présence d’autres facteurs de risques liés au travail et l’absence d’études solides avec un suivi à long terme, établir hors de tout doute un niveau d’exposition sécuritaire aux gaz anesthésiques pour inhalation sera une tâche ardue. Nous rappelons  l’importance  des  mesures  de  prévention. » 

Des systèmes spécifiques pour l’évacuation des gaz anesthésiques, dits prises SEGA, sont recommandés afin de diminuer l’exposition professionnelle dans la salle d’opération. Ces prises redirigent les gaz vers le système d’évacuation global de l’hôpital vers l’extérieur, dans l’atmosphère et ne solutionne pas les problèmes de pollution environnemental. 

Des systèmes de capture de l’isoflurane existent. En France, seuls les charbons actifs sont commercialisés mais ils sont couteux et ont une durée de vie relativement courte de quelques dizaines d’heures d’anesthésies. Ils permettent d’absorber entre 87 et 93% selon les études. 

Un système prometteur n’est pas encore disponible en France.  Le système breveté Deltasorb® capture les gaz halogénés d’échappement et les recycle en agents anesthésiques pouvant être réutilisés. Ce système est disponible au Canada mais pas encore en Europe. 

La thése de Marie Labruyère, permet de comprendre les situations à risque lors des anesthésies vétérinaires et donnent de nombreuses mesures de prévention qui sont reprises dans le paragraphe « prévention ».  

Prévention pour la diminution d’utilisation des gaz halogénés (pollution environnemental et exposition professionnelle) 
  • Réduction des débits de gaz frais  
    Une étude réalisée au CHU de Grenoble sur l’ensemble des blocs opératoires en 2014 a montré qu’en diminuant les débits de gaz frais à 1 l/min, on pouvait réduire de 27 % la consommation de desflurane [9]. En clinique vétérinaire, des tableaux de débits de gaz frais existent pour les différentes espèces. 

  • Préférer   les   circuits   anesthésiques   fonctionnant   avec réinhalation, lorsque  cela  est  compatible  avec  le format de l’animal anesthésié. 
     

  • Installer des sytèmes de recapture des gaz (charbon actif) et respecter leur durée de vie (les peser régulièrement). 
     

  • Diminution des fuites de gaz : Tester la machine d’anesthésie sous haute pression avant chaque journée d’anesthésie. 
     

  • Eviter les fuites lors du remplissage de la cuve.
    Il est vivement conseillé d’utiliser l’embout anti-fuites s’il est compatible avec la cuve. « Ceci permet de réduire très significativement le risque de fuite et rend le niveau d’exposition faible voire très faible pour un manipulateur expérimenté. L’idéal étant de remplir ces cuves en fin de journée, afin de permettre à la ventilation de la pièce de décontaminer les locaux pendant la phase nocturne au cours de laquelle les locaux sont peu (ou pas)fréquentés. Si la structure vétérinaire possède plusieurs cuves à isoflurane à remplir successivement, par précaution, l’opérateur peut se protéger à l’aide d’un masque à charbon actif. Il en est de même si les cuves utilisées sont anciennes (problématique fréquente dans le milieu vétérinaire) et ne sont pas équipées d’un détrompeur de sécurité anti-fuite. » 

     

  • Ajuster au mieux le masque anesthésique .
    Pour  les  petits  animaux  comme  les  rongeurs,  un  diaphragme  fait  à partir  de  gant  en  latex sans  talc a été testé et s’est révélé être très efficace  pour réduire l’exposition, mais aussi très simple  et  économique  à  réaliser

     

  • Des  masques à  double  enveloppe commercialisé    par    Medicvent® pour   les   hommes et les animaux peuvent  être  utilisés  afin de recueillir  les  gaz expiratoires. Pour l’instant, l’achat en France semble compliqué (Suède).  
     

  • Privilégier l’anesthésie fixe
     

  • Mise en marche et arrêt du vaporisateur à isoflurane:  

    • Ne démarrer le vaporisateur qu’après s’être assuré du bon ajustement du masque ou du bon gonflage du ballonnet de la sonde trachéale 

    • Arrêter le vaporisateur avant toute déconnexion. 

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Prévention pour la diminution de l’exposition aux gaz halogénés 
  • Vérifications avant chaque usage :  

    • Tester les  dispositifs  de  captage  et d’évacuation  des  gaz  pollués,  par  exemple brancher un ballon sur les prises d’aspiration. 

    • Vérifier  que  les  connexions  sont  étanches.

    • Vérifier la mise en service de la ventilation générale
       

  • Induction en cage à induction :  

    • Réserver  ce  type  d’induction  au  cas  où  aucun  autre  type  d’induction  n’est envisageable (animal agressif, certains NACs) 

    • Utiliser une cage étanche et connecter le système decaptage à l’évacuation de la cage. 

    • Utiliser ce mode d’induction dans une pièce bien ventilée ou à proximité de la ventilation afin de permettre une dispersion rapide du mélange gazeux 

    • Après utilisation, éloigner la cage et la mettre dans une pièce non fréquentée ou à l’extérieur puis la laver avec une eau savonneuse dès que possible, de même pour les ballons une fois déconnectés de la machine. 

    • Eventuellement, doter le clinicien d’un masque à charbon actif pendant la phase d’induction. 

  • Maintien :  

    • Éviter d’être en permanence à proximité de la tête de l’animal entre les contrôles, lorsqu’il  est  stable.  Une  distance  raisonnable  d’un  mètre  permet  de  réduire significativement  l’exposition  dans  notre  étude,  particulièrement  pour l’anesthésie de chevaux. 
       

  • Réveil 

    • Laisser   les animaux connectés  à  la  machine  d’anesthésie  jusqu’à  extubation pour récupérer gaz expirés. 

    • Pour  les  chevaux:  préférer  lorsque  c’est  possible un réveil  à  distance non assisté ou aux cordes, ou porter un masque à charbon actif. Envisager  si nécessaire des rotations du personnel exposé. 
       

  • Installation et maintenance du système de ventilation 
     

  • Changement de la chaux usagée : si possible  en fin de journée, fermer immédiatement le sac dans lequel elle a été jeté et sortir ce sac de l’environnement de travail afin qu’il ne soit pas à l’origine d’une contamination du milieu de travail 

 

La détection de la présence de fuites d’isoflurane par l’odorat est très peu sensible, puisque ce seuil de détection est plus de 10 fois supérieure aux limites règlementaire. 

 

 

Les faibles effets secondaires sur les systèmes cardiovasculaires et respiratoires, l’excellente relaxation musculaire induite, l’absence de métabolites toxiques engendrés ainsi que la rapidité du réveil assurent des anesthésies de qualité lorsque l’isoflurane est utilisé en font un anesthésique de choix en clinique vétérinaire. Son impact sur l’environnement et la santé humaine doivent pourtant conduire à réflexion avant chaque utilisation. 

BIBLIOGRAPHIE

 

Labruyère Marie. Etude de l’exposition professionnelle à l’isoflurane dans la pratique de l’anesthésie vétérinaire à l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort. Thèse vétérinaire. ENVA 2013. 

Equipe de toxicologie clinique de l’Institut national de santé publique du Québec et du Centre antipoison du Québec, Le Bulletin d’information toxicologique. Volume 28, numéro 1, janvier 2012 Rogers RC, Ross JAS. Anaesthetic agents and the ozone layer.Lancet 1989;333:1209–1 

Health care without harm europe, Pour la pratique anesthésique durable en Europe, mars 2018 

Ishizawa Y. Special article: general anesthetic gases and the global environment. Anesth Analg. 2011 Jan;112(1):213-7. doi: 10.1213/ANE.0b013e3181fe02c2. Epub 2010 Nov 3. PMID: 21048097. 

Mehrata M, Moralejo C, Anderson WA. Adsorbent comparisons for anesthetic gas capture in hospital air emissions. J Environ Sci Health A Tox Hazard Subst Environ Eng. 2016 Aug 23;51(10):805-9. doi: 10.1080/10934529.2016.1181438. Epub 2016 May 24. PMID: 27222158. 


Vollmer, M. K., Rhee, T. S., Rigby, M., Hofstetter, D., Hill, M., Schoenenberger, F. and Reimann, S. (2015), Modern inhalation anesthetics: Potent greenhouse gases in the global atmosphere. Geophys. Res. Lett., 42: 1606– 1611. doi: 10.1002/2014GL062785. Martin K.  

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